lundi 13 avril 2009

Éternité

-C'est Baie. Je sais que tu m'en veux. Ce n'est pas quelque chose que j'ai vraiment voulu. Il faut que tu comprennes. Tu devais passer à travers ça, tu devais tenir bon malgré l'épreuve, que ce soit infligé par moi ou par quelqu'un d'autre. Je sais que tu as envie de me tuer, pour le moment, mais écoute-moi. Si, un seul moment dans ta vie, tu dois écouter quelqu'un sans rien écouter d'autre, si une seule fois tu dois me faire confiance malgré tes instincts les plus forts, c'est maintenant...

Elle avait été tant de femmes à tant d'époques. Elle avait tant souffert. Toujours à la fin. Toujours lorsqu'elle était sur le point de s'en sortir, sur le point de vivre jusqu'au bout. Une épreuve de trop, et elle se plantait un couteau dans le coeur, elle se jetait à la mer avec un rocher aux pieds, elle avalait le poison que l'apothicaire s'était résigné à lui vendre, elle pointait le revolver de son mari sur sa tempe, ou elle se pendait. Pourtant, il y avait toujours eu quelqu'un pour l'avertir.

-Je me suis tuée tant de fois, mon Père, que c'est la seule solution que je connaisse. J'ai tant envie de vous croire, seulement je ne comprends pas.

-C'est pourtant fort simple, mon enfant. Vous savez bien ce qui arrive à ceux qui mettent fin à leurs jours.

-Tout cela est faux, mon Père, et je suis en mesure de le savoir. Pas de diable cornu, pas de flammes, pas de corps qui se consument pour l'éternité.

-C'est vrai, vous êtes là, devant moi. Pourtant, l'enfer existe et c'est directement là que vous irez. Parce que vous n'avez rien compris.

Une fois, elle avait trouvé l'amour. Il embrassait sa nuque et lui donnait des frissons, il lui disait ''Tu crois?'' avec des yeux rieurs, il faisait semblant de croire à ses histoires de vies antérieures, il lui faisait l'amour au ralenti. Un jour, elle le vit faire l'amour au ralenti à Baie, puis elle partit en courant jusque chez elle, verrouilla la porte et sortit le couteau de cuisine. Elle laissa sonner le téléphone et découpa tranquillement chaque veine de son poignet susceptible d'être la bonne.

La voix de Baie retentit à travers son répondeur. ''C'est Baie. Je sais que tu m'en veux.'' Même si elle l'avait voulu, elle n'aurait pas entendu. Son sang qui se vidait était la sensation la plus horrible au monde. Celle de n'avoir plus de circulation dans les jambes, mais au centuple. Et partout. À côté de ce qu'elle ressentait, même se faire trahir par l'amour ne lui semblait plus si douloureux.

-... Ne fais pas ça, Lucie. Je t'en supplie, quoi qu'il arrive, ne fais pas ça. Tu ne t'aides en rien. Tout va recommencer, tout va être à refaire. Tu dois briser le cercle maintenant. J'ai si souvent cru que tu avais compris. Tu te souviens? Une fois, tu avais parlé avec le curé et tu semblais si sereine. Cette fois-là, il m'a fallu du temps pour me tuer à mon tour. Je n'arrivais pas à croire que tu n'aies pas compris. Puis une fois, tu l'as dit toi-même. Tu m'as regardée de tes yeux polaires et tu m'as dit : ''Tu sais quoi, Baie? Je vis un enfer.'' C'est là que je t'ai dit que je t'aimais pour l'éternité, et que je t'ai promis que je te suivrais en enfer, s'il le fallait. Je tiens toujours mes promesses, Lucie. Mais j'en ai assez. Alors ne fais pas ça.

On trouva son corps le lendemain matin, alors que naissait dans le pays voisin une petite fille aux yeux polaires. Elle avait une si longue vie à souffrir. Et si peu de temps pour comprendre.

Clara, 13 avril 09

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